À la croisée des usages : comprendre la singularité des tiers-lieux face aux coworkings

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2 juin 2025

Des mots sur des lieux : définitions et origines

Depuis plus de dix ans, les mots “tiers-lieux” et “coworking” irriguent l’évolution de nos façons de travailler. Derrière ces concepts apparemment voisins se cachent en réalité des réalités plurielles et des ambitions distinctes. Pour bien comprendre ce qui les différencie, un détour par l’histoire et la terminologie s’impose.

  • Le coworking : apparu à San Francisco en 2005, le premier espace de coworking, le “San Francisco Coworking Space”, est ouvert par Brad Neuberg pour répondre à l’isolement des travailleurs indépendants du numérique. Le modèle se diffuse rapidement : la France compte aujourd’hui plus de 2 800 espaces de coworking répertoriés en 2023 (source : Xerfi). Les coworkings offrent des bureaux partagés, accessibles à la carte ou sur abonnement, autour de services mutualisés (wifi, café, imprimantes, salles de réunion). Leur vocation ? Permettre à chacun de travailler seul mais ensemble, avec une communauté souvent professionnelle.
  • Le tiers-lieu : le terme est forgé en 1989 par le sociologue américain Ray Oldenburg (dans “The Great Good Place”). Il désigne initialement un lieu ni “chez soi” (le premier lieu) ni “au travail” (le deuxième), mais un “troisième” espace de sociabilité : café, bibliothèque, agora… En France, à partir des années 2010, la notion se sécularise et recouvre des espaces portés par des collectifs citoyens, associations ou collectivités. Les tiers-lieux mêlent travail, culture, fabrication, apprentissage, solidarité, vie associative… La Mission Société Numérique en dénombrait plus de 3 500 en 2023, dont beaucoup en milieu rural ou périurbain (source : France Tiers-Lieux).

A la source des différences : finalités, gouvernance, publics

Si coworkings et tiers-lieux partagent un goût pour le collectif et l’hybridation, leurs réalités diffèrent sur trois points essentiels : leurs missions, leurs modes de gestion, et la diversité de leurs usagers.

Des objectifs d’abord différents

  • Le coworking classique vise l’optimisation du travail et de la productivité individuelle dans un cadre communautaire. Le focus est mis sur la fourniture de services pour travailler efficacement (bureaux, connexion, espaces calmes, évènements réseautage), pour des indépendants, startups, télétravailleurs d’entreprises ou petites équipes projet.
  • Le tiers-lieu ambitionne d’être un carrefour de vie locale. Travail, mais aussi rencontres informelles, actions culturelles, formations, ateliers “maker”, permanences associatives ou sociales, ressourceries… Les tiers-lieux déclarent souvent un projet d’intérêt général, comme la revitalisation rurale, l’innovation sociale ou l’inclusion numérique. Selon l’étude nationale “Recensement des tiers-lieux” (ANCT, 2023), 78 % de ces espaces organisent des évènements ouverts à tous, 58 % accueillent des ateliers de fabrication (type fablab), 40 % de la médiation numérique.

Une gouvernance qui change tout

  • Les coworkings classiques sont majoritairement des entreprises privées, structures commerciales ou franchises (Regus, Wojo…). Leur gouvernance est centralisée, pilotée par des équipes salariées avec une offre standardisée.
  • Les tiers-lieux se structurent souvent en associations, SCIC (sociétés coopératives d’intérêt collectif) ou collectifs ouverts, avec des bénévoles ou une équipe salariée réduite. Les usagers sont parfois associés aux décisions (gouvernance partagée, AG ouvertes), et il n’est pas rare que la programmation (évènements, ateliers, expositions) soit conçue de manière participative. Ce mode de gestion favorise l’émergence de projets ancrés dans les besoins du territoire.

Un spectre d’usagers plus large

  • Dans un coworking classique, la cible reste le professionnel : freelance, consultant, salarié en télétravail ou start-up, souvent du secteur tertiaire ou numérique, âgé entre 25 et 45 ans (source : étude Bureaux à Partager, 2022).
  • Les tiers-lieux accueillent une grande diversité de publics : étudiants, retraités, artistes, parents, associations, collectivités… 46 % d’entre eux proposent des espaces enfants/garderie ou des actions intergénérationnelles (source : France Tiers-Lieux, 2023).

Sur le terrain : panorama local et exemples inspirants

À Annemasse et en Haute-Savoie, l’essor des coworkings va de pair avec celui des tiers-lieux à vocation sociale et culturelle. Voici quelques exemples qui éclairent les nuances.

  • Coworking standard : “La Turbine.co” à Cran-Gevrier (Annecy) propose ~100 postes de travail, open-space ou privé, à destination exclusive de professionnels. L’ambiance y est décontractée mais l’offre reste tournée “business” : réunions, afterworks, accompagnement à l’entreprenariat.
  • Espaces hybrides : “La Station” à Annemasse est née comme espace de coworking, mais a élargi sa programmation : repair-cafés, ateliers zéro déchet, club jeux de société, médiation numérique. Sa gouvernance participative permet aux membres d’initier de nouveaux usages.
  • Tiers-lieu rural : “La Fruitière Numérique” à Lourmarin (Vaucluse), installée dans une ancienne coopérative agricole, associe bureaux partagés, fablab, cinéma, café associatif et pôle jeunes. Ouvert à tous, ce tiers-lieu est soutenu par la Communauté de Communes, et se donne pour mission, non seulement le développement économique, mais aussi l’accès de tous au numérique et le renforcement du lien social local.
  • Tiers-lieu citoyen en zone périurbaine : “La Dynamo”, à Chambéry, conjugue espaces de coworking, ateliers d’artisans, café associatif, et maison des initiatives citoyennes. Ici, habitants, entrepreneurs et associations se croisent, mutualisent, et co-construisent la vie du lieu.

Quels services ? Des fonctions de base à la boîte à outils collaborative

Les services proposés balisent aussi la différence.

Coworking : flexibilité et efficacité

  • Postes de travail à la demande (open space ou bureau fermé)
  • Salles de réunion équipées
  • Espaces café/lounge
  • Wifi haut débit, imprimantes, casiers
  • Services pros (domiciliation, accueil, gestion du courrier)
  • Evènements réseau, conférences sur entrepreneuriat ou innovation

Des offres souvent standardisées, et une forte recherche de confort, d’ambiance et de services premium.

Tiers-lieu : au-delà du travail, des ressources mutualisées

  • Espaces de coworking, mais aussi atelier de bricolage, cuisine mutualisée, salle polyvalente, studio d’enregistrement, fablab
  • Café/cantine associative, ressourcerie
  • Salles d’activités culturelles ou sportives
  • Ateliers ouverts à tous, formation numérique, espace d’entraide sociale (accès aux droits, accompagnement numérique)
  • Jardin partagé ou espace extérieur aménagé

À noter : 54 % des tiers-lieux français possèdent au moins un atelier de fabrication numérique (fablab), 28 % proposent une cantine ou un café associatif, et 40 % hébergent des associations locales (source : France Tiers-Lieux, 2023).

Pour quels impacts sur les territoires et les usagers ?

  • Coworking : augmente l’attractivité urbaine, favorise l’emploi local et diminue les temps de trajet domicile-travail. Un rapport de l’INSEE sur la région Auvergne-Rhône-Alpes précisait en 2022 qu’un télétravailleur sur cinq estime avoir conservé son emploi grâce à l’accès à un espace de coworking proche de chez lui.
  • Tiers-lieu : joue un rôle de “maison commune”. Il agit comme accélérateur de projets collectifs, soutien aux initiatives citoyennes, outil de revitalisation rurale, espace de “droit à l’essai” pour de nouvelles activités. La Mission France Tiers-Lieux estime qu’en 2022, 29 % des tiers-lieux ont accueilli des services publics de proximité, en particulier dans les zones rurales (source : “Etude sur la structuration des tiers-lieux”, ANCT, 2022).

Des enquêtes récentes démontrent que dans les agglomérations intermédiaires (comme Annemasse ou Annecy), un tiers-lieu dynamique peut attirer jusqu'à 800 visiteurs réguliers par an, contre 200 à 400 pour un coworking classique (source : étude Région Auvergne-Rhône-Alpes 2023 sur les nouveaux lieux de travail).

Aller plus loin : des modèles qui se complètent

Face aux défis contemporains – transitions numériques, quête de sens au travail, relocalisation productive, inclusion sociale – la richesse du paysage des nouveaux lieux de travail réside dans leur hétérogénéité. Le coworking classique est un levier efficace pour transformer nos habitudes professionnelles et offrir des alternatives à l’isolement ; le tiers-lieu, espace polymorphe, ouvre quant à lui une brèche vers des pratiques plus collectives et expérientielles, connectées aux dynamiques de territoire.

Le mouvement n’est pas figé. Nombre d’espaces hybrident leurs modèles, à l’image de lieux annemassiens qui développent à la fois une offre de bureaux partagés, des rencontres citoyennes et des services de proximité. C’est ici, entre lac et montagne, dans cette diversité parfois foisonnante, que de nouveaux équilibres s’inventent pour répondre à des attentes multiples – productivité, convivialité, engagement social et ancrage local.

Pour approfondir :

  • “Les tiers-lieux en France : état des lieux et perspectives”, ANCT, 2023
  • Observatoire France Tiers-Lieux : francetierslieux.fr
  • Etude Xerfi : “Le marché du coworking en France à l’horizon 2025”, 2023

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